FALACHAS

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Histoire

Nombreuses sont les singularités prêtées aux Falachas, une population entourée de mystère quant à son appellation, son identification, ses croyances et son origine. Eux-mêmes refusent le nom, courant, de Falacha qu’ils ont reçu en Éthiopie de leurs voisins, en raison de sa connotation péjorative: la racine du mot falacha , d’après l’ancienne langue guèze, porte le sens d’«émigré, exilé, séparé». La dénomination Betä Esra’el , «la maison d’Israël», tirée des anciennes chroniques éthiopiennes et simplifiée en Beta Israel , est mieux acceptée par ce peuple que l’autre terme, à connotation géographique, par lequel on les désigne: Juifs éthiopiens .

Jadis, ils étaient en Éthiopie entre 40 000 et 60 000 personnes (ces chiffres restent néanmoins sujets à caution), réparties en groupes importants dans les régions du Tigré, du Wollo, de Gondar et du Lasta, sur la haute montagne au bord du lac Tana. Aujourd’hui, l’appartenance des actuels Falachas à la religion juive ne prête guère à discussion, contrairement au judaïsme de leur ancêtres. Ils sont les seuls juifs parmi les Noirs et les seuls Noirs parmi les juifs. À maintes reprises, ils ont tenté le voyage vers la Terre promise. Entre 1965, date d’arrivée du premier d’entre eux, et 1975, à peine 250 Falachas ont émigré en Israël; en 1984, ils étaient 7 000; à la fin de 1984 commence l’époque héroïque: 10 000 Falachas entreprennent une longue marche à pied de l’Éthiopie au Soudan pour se rendre en Israël grâce à un imposant pont aérien entre le Soudan et Israël organisé par les autorités israéliennes. Après cette opération Moïse et son corollaire, l’opération Sheba, menée par la C.I.A., 6 000 Falachas arrivent encore en Israël. Enfin, en mai 1991, c’est le début de la grande opération Salomon, réalisée en accord avec le nouveau pouvoir éthiopien: les 14 000 Falachas massés autour de l’ambassade israélienne à Addis-Abeba iront en Israël. Avec les quelque 3 000 victimes laissées en chemin, l’exode des Falachas frise l’épopée, et touche le grand public.

Pourtant, les Falachas ont intéressé les scientifiques après leur «découverte» par l’érudit écossais James Bruce au cours d’un voyage en Éthiopie en 1770. Articles, recherches et récits de voyage, par centaines, passionnent historiens, ethnologues et prédicateurs des cercles protestants, catholiques ou rabbiniques. Ce sont les milieux juifs qui, à partir de la fin du XIXe siècle, ont approché le mieux cette population et lentement l’ont amenée vers les rites judaïques dominants. Les études nouvelles ont affiné nos connaissances et les ont enrichies de l’histoire des 55 000 Juifs israéliens d’origine éthiopienne. Les Enfants de la reine de Saba , écrit par Daniel Friedmann en collaboration avec Ulysses Santamaria, éclaire les difficultés des Falachas pendant le transfert et les résistances rencontrées à leur arrivée en Israël. Leur adaptation constitue l’essentiel du livre: pendant des années, les Beta Israel ont été «ghettoïsés» dans des cités de caravanes ou dans des hôtels.

L’intégration, ou absorption en langage anglo-israélien, se fait au ralenti. Les obstacles sont dus à des facteurs sur lesquels les institutions n’ont qu’une influence limitée. Les mentalités des immigrés et des Israéliens sont en cause, car la présence des Beta Israel a remis en question l’identité des Juifs israéliens, plus que l’immigration de 500 000 Juifs russes. La non-reconnaissance des qésotch , «prêtres» falachas, le refus de la culture éthiopienne à l’école, la réclusion des femmes en cas d’impureté, la pratique de l’excision, la rigidité des règles du sabbat, les rites sociaux, les mariages ou les funérailles, par exemple, constituent autant de différences que des cas d’incompatibilités sociales. Le taux de suicides est extrêmement élevé parmi les Beta Israel. Le défi pour Israël est de ne pas répéter des erreurs qui entraînent la marginalisation, comme ce fut le cas pour les communautés juives orientales, et d’éviter toute forme de racisme.

Désormais, il reste à affronter l’immigration des 25 000 Falachas convertis au christianisme et désignés par un néologisme d’origine inconnue Falashmura . Pour eux s’est rouverte la question de savoir quels sont ceux qui doivent être considérés comme Juifs et si ce sont des Juifs d’origine ou simplement des convertis. Maintenant, la situation en Israël a changé, puisque les Juifs d’origine éthiopienne commencent à s’organiser et à se faire entendre.

Quant à l’histoire, Friedmann cherche habilement à se rapporter aux diverses opinions sur la question controversée des origines des Falachas. Les interventions entendues à Jérusalem au cours de la IIe conférence internationale sur les Juifs éthiopiens organisée par l’association Sosteje (Society for the Study of Ethiopian Jewry-Falasha ), du 21 au 25 mai 1995, n’ont pas permis d’élucider l’énigme de la genèse de cette population. La tradition amharique et la tradition des Juifs éthiopiens font référence au roi Salomon (972 env.-env. 932 av. J.-C.) et à la séduction déployée par la reine de Saba pour expliquer l’origine des dynasties et l’ensemble historico-culturel de l’Éthiopie. Une incertitude pèse sur l’identification de la reine et aussi sur celle de la ville et du royaume qui portent le même nom, Saba. Une théorie a placé les trois dans l’Est, entre les très anciens peuples sabéens du Yémen, une autre, remarquablement présentée par David Kessler dans The Falashas , dans le Nord, vers la ville de Méroé, dans la région du Soudan connue sous l’ancien nom de Kouch. À la période de l’Exil remonteraient les traditions concernant la tribu perdue d’Israël dont le lieu d’arrivée est associé à Kouch et à l’Éthiopie, selon l’argumentation proposée par le voyageur juif du IXe siècle Eldad Hadani. Ses déclarations, jointes à l’attestation d’un rabbin égyptien du XVe siècle, ont servi de base à la reconnaissance officielle de la judaïcité des Falachas par le rabbinat d’Israël en 1973, permettant ainsi leur immigration légale en Israël, mais au prix d’un humiliant rituel, semblable à une conversion, qui a été abrogé par la suite.

Maintenant, des preuves archéologiques, épigraphiques et anthropologiques existent, qui montrent l’origine sudarabique du peuplement sémitique de l’Éthiopie et associent l’histoire de la région à celle de l’Arabie. La provenance sudarabique est attestée par la toponymie ainsi que par des formes de cultes et de technologies, par des techniques militaires et par l’emploi de quelques plantes alimentaires. Dès le Ve siècle avant J.-C., entre les deux rives de la mer Rouge circulent les Sabéens et les Éthiopiens avec leurs marchandises. Le royaume d’Axoum, ancêtre de l’Éthiopie, surgit au Ier siècle avant J.-C. dans une situation de pluralisme culturel. Néanmoins, la présence juive au Yémen, au Soudan et en Égypte se heurte à la thèse de l’appartenance des anciens Falachas à la population locale agaw, un des piliers de la civilisation d’Axoum. Cette population parlait une langue du groupe africain dit couchitique qui, en Éthiopie, a reculé devant l’expansion du groupe sémitique, principalement représenté par la langue éthiopienne classique, le guèze, dont la formation structurée daterait du IVe siècle; elle est presque contemporaine de la christianisation de l’Éthiopie et de deux siècles antérieure à la christianisation officielle des royaumes qui ont continué la vie cosmopolite de Méroé. Vers le IIIe siècle, dans le sillage de la conquête de l’Arabie du Sud par les rois d’Axoum, d’étroites relations reprennent entre les deux bras de la mer Rouge. Au même moment, la tribu de Himyar affirme progressivement son autorité sur toute l’Arabie du Sud. Il est notoire que dans ces territoires, comme dans ceux qui furent soumis d’abord à la domination romaine et ensuite à la domination gréco-byzantine, le judaïsme a été prosélyte. La présence de communautés christiano-juives dans la péninsule arabique et au Moyen-Orient a été rappelée dans l’ouvrage de vulgarisation Les Falasha , dû à Bernard Nantet pour le récit historique et à Édith Ochs pour l’intégration en Israël. Elle donne à réfléchir sur la pénétration en profondeur d’idées monothéistes et de pratiques qui semblent dérivées de prescriptions religieuses du Pentateuque, antérieures à la compilation du Talmud et de la Thora et abandonnées par le judaïsme. Enfin, au VIe siècle, le royaume d’un roi juif du Yémen est détruit par le roi chrétien d’Éthiopie. Ce rapide rappel du passé des terres bordant la mer Rouge permet de comprendre la persistance, dans l’ensemble de la société éthiopienne, d’influences juives fort anciennes. Par le contact avec le judaïsme et/ou des Juifs s’expliquent plusieurs composantes culturelles des Juifs éthiopiens: les pratiques rituelles et liturgiques, l’influence linguistique dans des termes religieux et l’influence littéraire dans la traduction en guèze de la Bible et aussi quelques emprunts à l’hébreu ou à l’araméen. Le partage avec les Éthiopiens de ces éléments de culture juive complique leur différenciation. Les Falachas ignorent surtout les références au Nouveau Testament, au Christ, aux saints et à Marie et conservent des écrits apocryphes du christianisme et des anciennes cérémonies bibliques, comme le sacrifice. À la conférence de Jérusalem, l’équipe du C.N.R.S. dirigée par le professeur Simma Arom a fait état d’une particularité des Juifs éthiopiens: une connotation musicale qui leur est propre existe dans les modalités de leur chant choral.

Nous n’avons qu’une connaissance fragmentaire de l’histoire des Juifs éthiopiens, ce qui ne permet pas d’éviter les suppositions. Des publications récentes montrent la genèse des Falachas à travers l’évolution interne de la société éthiopienne. Les recherches sont fondées sur la continuité et la globalité interprétative des données anthropologiques. Jean Abbink dans Mytho-légendes et histoire s’attache à l’étude des mythes et légendes des Éthiopiens Amharas et fait ainsi apparaître l’émergence d’un contre-mythe conférant aux Falachas une origine plus noble que celle que les traditions attribuent aux Amharas. Le groupe des Juifs éthiopiens trouve sa raison d’être dans la revendication de sa judaïcité et dans son rattachement à la filiation d’Israël. Sur un fond unique de croyances religieuses, les Falachas se forgent un caractère distinctif qui les différencie des autres Éthiopiens. Une élaboration ultérieure de l’identité juive est proposée par Steve Kaplan, moins dans le livre publié en français sous le titre Les Falâshâs , remarquable pour les textes liturgiques, que dans The Beta Israel (Falasha) in Ethiopia . Selon cet auteur, les Falachas s’approprient le modèle monastique des chrétiens à travers la défection de certains moines considérés par le pouvoir comme hérétiques et pour cela appelés ayhud , «juif». Ces hommes saints ont rassemblé les Falachas et ont renforcé le processus qui, au cours de plusieurs siècles, a permis la formation de l’ethnie Beta Israel au sein du peuple éthiopien. Entre le XIVe et le XVIe siècle, les Falachas apparaissent comme un groupe distinct, qui embrasse une religion particulière, avec ses livres sacrés, ses rites et sa hiérarchie. Ce type d’explication semble dériver des recherches sur la formation d’idéologies politiques capables de justifier la conservation du pouvoir par un groupe ou, au contraire, le refus d’un pouvoir par un autre groupe ou sous-groupe. Se livrant à la même démarche, James Quirin s’attache, dans The Evolution of the Ethiopian Jews , à élucider le mécanisme de différenciation ethnique, et ce à travers l’étude de la formation des castes, en utilisant l’enquête sur le terrain et les traditions orales. Le développement du sentiment d’identité ethnique chez les Beta Israel a coïncidé avec l’évolution de leurs rapports avec la société éthiopienne dominante et la naissance de relations de caste; cela explique qu’ils aient exercé des métiers méprisés: forgerons, charpentiers, tisserands, cordonniers et métayers. Cependant, ces travaux n’ont pas mis un terme à la controverse portant sur l’origine des Falachas.

Encyclopédie Universelle. 2012.

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